
Le drame de notre élite, c’est qu’elle confond l’apparence avec la substance, et le geste avec l’acte. Elle préféré le brillant de la mise en scène à la rigueur de la construction. Cette illusion du paraître épuise notre intelligence collective et compromet notre capacité à construire du réel, du durable, du vrai.
Le complexe d’infériorité n’est pas une simple fragilité psychologique. Dans la réalité de l’élite mauritanienne ankylosée, il est devenu un mal chronique qui mine la confiance en soi et entretient l’illusion d’une appartenance feinte au concert des nations avancées.
Tandis que les peuples s’élancent vers l’espace et façonnent leur avenir à la force de la science, de la technique et de l’imagination, une certaine élite du "Mankib Al Ghassi", ce promontoire reculé, qu’est la Mauritanie - se complait à singer les grands, dans une mise en scène aussi maladroite qu’ostentatoire. Pareils à des danseurs sans musique. Elle semble dire : « Je suis le nu qui persiste à paraître nu».
Pendant que les esprits créatifs du monde gravissent les sommets de l’innovation et de la production - ces sommets âpres et sublimes où vivent, selon Victor Hugo, « ceux qui luttent et les gravissent épris d’un but sublime », nos participants, eux, se contentent de voyager pour se photographier dans les salons internationaux, se mêlant distraitement et sans aucun ressentiment de culpabilité aux véritables bâtisseurs du monde. De retour au pays, ils proclament fièrement que « la Mauritanie a participé », comme si le simple fait d’être présents suffisait à valider une contribution.
Et l’illusion se prolonge sur notre propre sol. Sans la moindre gêne, elle organise à grand bruit des forums, des conférences, des colloques, des expositions sur des thématiques dont elle ignore presque tout : intelligence artificielle, transition énergétique, économie numérique, durabilité, création artistique et littéraire et autres; Autant de mots qui brillent à la surface mais demeurent creux dans les esprits. Ces événements deviennent des vitrines sans contenu, où se succèdent discours convenus, autopromotion et satisfaction mutuelle. On y célèbre le vide avec la ferveur qu’ailleurs on réserve au mérite. Le pays semble s’y contempler dans un miroir flatteur, confondant la mise en scène du progrès avec le progrès lui-même.
Le drame de cette élite, c’est qu’elle confond l’apparence avec la substance, et le geste avec l’acte.
Elle préfère le brillant de la mise en scène à la rigueur de la construction. Plutôt que d’investir dans les esprits qui inventent, transforment et bâtissent l’avenir, elle gaspille les ressources publiques dans des voyages, des congrès et des cérémonies de façade - convaincus, à tort, que l’imitation peut remplacer la création.
Cette illusion du paraître épuise son intelligence collective et compromet sa capacité à construire du réel, du durable, du vrai. Ainsi persiste ce complexe d’infériorité, qui la pousse à chercher dans le regard des autres la reconnaissance qu’elle refuse de conquérir par elle-même.
Se libérer de ce piège suppose d’abord une honnêteté brutale : admettre son retard, cesser de le maquiller en fierté et reconstruire son rapport à elle-même sur des bases de lucidité et de responsabilité. La valeur d’une élite ne réside pas dans les images qu’elle capture parmi les créateurs, mais dans l’effort qu’elle fournit, dans la réalité qu’elle transforme.
Les élites ne se mesurent pas à ce qu’elles consomment en apparences de modernité, mais à ce qu’elles produisent en pensée, en innovation et en institutions solides.
Le véritable point de départ du sursaut national est là : dans une éducation authentique, une production réelle, une indépendance intellectuelle assumée.
Alors seulement, le mankib pourra s’approcher du cercle de lumière, et cesser de se perdre dans les ombres de l’imitation.