L'État et la Tribu : Enchevêtrement des rôles et défis de la construction politique/El Wely Sidi Heiba

اثنين, 01/09/2025 - 21:13

« Il est impossible d’envisager une transition démocratique réelle et durable en Mauritanie sans un dépassement de la structure tribale qui façonne les mentalités politiques, et sans l’édification d’un véritable État de droit, où la citoyenneté – et non les liens du sang – constitue le fondement de la relation entre l’individu et le pouvoir».

 La vie politique mauritanienne continue de souffrir d’une crise structurelle profonde, qui se manifeste par la fragilité du discours politique et l’absence de lignes idéologiques claires au sein des partis. À de rares exceptions près, les projets intellectuels et de visions de société ambitieux font défaut, laissant place à des conflits d’alliances précaires, fondées sur des intérêts personnels étroits et des solidarités tribales ou régionales. Ce phénomène, que l’on pourrait qualifier de « crise des élites » ou de « vide idéologique », n’est pas conjoncturel : il reflète l’absence de l’idée d’État dans les esprits et les pratiques – en tant qu’entité fédératrice – et la prégnance d’une mentalité tribale sur la conscience collective.

Dans l’expérience politique mauritanienne contemporaine, le concept d’État pâtit d’une faible intégration, tant sur le plan institutionnel que mental. L’État, entendu comme une entité régulant les relations politiques et sociales sur la base de la primauté du droit et de l’égalité des citoyens, reste une réalité absente ou confisquée. Le pouvoir évolue dans un espace peu institutionnalisé, où la frontière entre sphère publique et sphère privée s’estompe, et où l’État se réduit à la personne des hauts responsables et des structures administratives opaques, dépourvus de mécanismes de redevabilité et n’agissant pas nécessairement dans l’intérêt général.

Dans le vide laissé par cette absence, la tribu émerge pour le combler – non plus seulement comme un cadre social traditionnel, mais comme acteur politique dominant. Les partis politiques ne se structurent pas autour de clivages idéologiques ou socio-économiques, mais se calquent sur les cartographies des loyautés tribales et régionales. En conséquence, des notions comme parti national, programme politique ou débat d’idées se brisent face aux allégeances primordiales. Le leader politique y est perçu comme un notable ou un chef tribal, plutôt que comme le porteur d’un projet de société.

Cette configuration engendre une fluidité politique excessive, où les alliances partisanes sont en recomposition permanente, selon des logiques étrangères à toute évolution idéologique ou évaluation objective, mais dictées par les rapports de force et les calculs opportunistes. Le comportement politique est souvent marqué par un opportunisme (nomadisme) prononcé, conduisant à des changements de camp radicaux, sans états d’âme, ni considération pour l’éthique, la morale religieuse, l’intérêt national ou la cohérence idéologique. Il est fréquent qu’un même parti adopte un discours progressiste, puis conservateur, en l’espace de peu de temps. Cette flexibilité dénuée de principes transforme le processus politique en une simple mise en scène, lui ôtant toute crédibilité, sapant la confiance des citoyens envers les partis et le système démocratique lui-même.

Naturellement, sortir de cette impasse exige de dépasser une conception purement procédurale de la démocratie (réduite au multipartisme et à des élections périodiques), pour refonder un contrat social sur des bases intellectuelles solides, et réhabiliter l’idée d’État comme projet de civilisation fédérateur. Cet objectif ne pourra être atteint qu’à travers :

  • L’ancrage du principe de citoyenneté comme unique fondement de l’appartenance, des droits et des devoirs ;
  • Une réforme en profondeur du système éducatif, visant à forger une conscience civique nouvelle, transcendante des allégeances infra-étatiques;
  • L’émergence d’une nouvelle élite politique, constituée sur la base de la compétence, engagée dans le projet national, et dotée d’une indépendance d’esprit ainsi que d’une audace programmatique ;
  • La construction de partis politiques institutionnalisés, dotés d’un discours solide, de programmes clairs, de structures internes démocratiques et de mécanismes stricts de redevabilité, affranchis du leadership personnalisé et imperméables à l’opportunisme de leurs membres.

En définitive, il est impossible d’envisager une transition démocratique réelle et durable en Mauritanie sans un dépassement de la structure tribale des mentalités politiques, et sans l’édification d’un véritable État de droit, où la citoyenneté – et non la parenté – constitue le lien fondamental entre l’individu et le pouvoir. Les partis politiques doivent abandonner la logique de l’opportunisme à court terme pour entrer dans l’arène de l’idée et du projet, seuls garants de leur légitimité et de leur pérennité, afin de représenter véritablement les aspirations du peuple – et non les seuls intérêts des élites. Dans le cas contraire, la démocratie demeurera tronquée, et le pouvoir ne sera qu’une proie que se disputent les factions.